Il avait dit : - Tel jour cet astre reviendra. - Quelle huee ! Ayez pour Vishnou, pour Indra, Pour Brahma, pour Odin ou pour Baal un culte ; Affirmez par le fer, par le feu, par l'insulte, L'idole informe et vague au fond des bleus ethers, Et tous les Jehovahs et tous les Jupiters Echoues dans notre ame obscure sur la greve De Dieu, gouffre ou le vrai flotte et devient le reve ; Sur les Saint-Baboleyns et sur les Saint-Andres Soyez absurde et sombre autant que vous voudrez ; Dites que vous avez vu, parmi les mouettes Et les aigles, passer dans l'air des silhouettes De maisons qu'en leurs bras tenaient des cherubins ; Dites que pour avoir aperçu dans leurs bains Des deesses, rondeurs celestes, gorges blanches, On est cerf a jamais errant parmi les branches ; Croyez a tout, aux djinns, aux faunes, aux demons Apportant Dieu tremblant et pale sur les monts ; Soyez bonze au Tonquin, mage dans les Chaldees ; Croyez que les Ledas sont d'en haut fecondees Et que les cygnes font aux vierges des enfants ; Donnez l'Egypte aux bœufs et l'Inde aux elephants ; Affirmez l'oignon dieu, Venus, Eve, et leur pomme ; Et le soleil cloue sur place par un homme Pour offrir un plus long carnage a des soldats ; Inventez des Korans, des Talmuds, des Vedas, Soyez un imposteur, un charlatan, un fourbe, C'est bien. Mais n'allez pas calculer une courbe, Completer le savoir par l'intuition, Et, quand on ne sait quel flamboyant alcyon Passe, astre formidable, a travers les etoiles, N'allez pas mesurer le trou qu'il fait aux toiles Du grand plafond celeste, et rechercher l'emploi Qu'il a dans ce chaos d'ou sort la vaste loi ; Laissez errer la-haut la torche funeraire ; Ne questionnez point sur son itineraire Ce fantome, de nuit et de clarte vetu ; Ne lui demandez pas : Ou vas-tu ? D'ou viens-tu ? Ne faites pas, ainsi que l'essaim sur l'Hymete, Roder le chiffre en foule autour de la comete ; Ne soyez pas penseur, ne soyez pas savant, Car vous seriez un fou. Docte, obstine, revant, Ne faites pas lutter l'espace avec le nombre ; Laissez ses yeux de flamme a ce masque de l'ombre ; Ne fixez pas sur eux vos yeux ; et ce manteau De lueur ou s'abrite un sombre incognito, Ne le soulevez pas, car votre main savante Y trouverait la vie et non pas l'epouvante, Et l'homme ne veut point qu'on touche a sa terreur ; Il y tient ; le calcul l'irrite ; sa fureur Contre quiconque chercher a l'eclairer, commence Au point ou la raison ressemble a la demence ; Alors il a beau jeu. Car imagine-t-on Rien qui semble ici-bas mieux fait pour Charenton Qu'un ascete perdu dans des recherches sombres Apres le chiffre, apres le reve, apres des ombres, Guetteur pale, appliquant des verres grossissants Aux faits connus, aux faits possibles, au bon sens, Regardant le ciel spectre au fond du telescope, Chez les astres voyant, chez les hommes myope ! Quoi de plus ressemblant aux insenses que ceux Qui, voyant les secrets d'en haut venir vers eux, Marchent a leur rencontre et donnent aux algebres L'ordre de prendre un peu de lumiere aux tenebres, Et, sondant l'infini, mer qui veut se voiler, Disent a la science impassible d'aller Voir de pres telle ou telle etoile voyageuse, Et de ne revenir, ruisselante plongeuse, De l'abime qu'avec cette perle, le vrai ! D'ailleurs ce diamant, cet or, ce minerai, Le reel, quel mineur le trouve ? Qui donc creuse Et fouille assez avant dans la nature affreuse Pour pouvoir affirmer quoi que que ce soit ? Hormis L'autel connu, les jougs sacres, les dieux permis, Et le temple dore que la foule contemple, Et l'espece de ciel qui s'adapte a ce temple, Rien n'est certain. Est-il rien de plus surprenant Qu'un reveur qui demande au mystere tonnant, A ces bleus firmaments ou se croisent les spheres, De lui conter a lui curieux leurs affaires, Et qui veut avec l'ombre et le gouffre profond Entrer en pourparlers pour savoir ce qu'ils font, Quel jour un astre sort, quel jour un soleil rentre, Et qui, pour eclairer l'immensite de l'antre Ou la Pleïade avec Sirius se confond, Allume sa chandelle et dit : J'ai vu le fond ! Un pygmee a ce point peut-il etre imbecile ? Oui, Cardan de Pavie, Hicetas de Sicile Furent extravagants, mais parmi les songeurs Qui veillent, epiant les nocturnes rougeurs, En est-il un, parmi les pires, qui promette Le retour de ce monstre eperdu, la comete ? La comete est un monde incendie qui court, Furieux, au dela du firmament trop court ; Elle a la ressemblance affreuse de l'epee ; Est-ce qu'on ne voit pas que c'est une echappee ? Peut-etre est-ce un enfer dans le ciel envole. Ah ! vous ouvrez sa porte ! Ah ! vous avez sa cle ! Comme du haut d'un pont on voit l'eau fuir sous l'arche, Vous voyez son voyage et vous suivez sa marche ; Vous distinguez de loin sa sinistre maison ; Ah ! vous savez au juste et de quelle façon Elle s'evade et prend la fuite dans l'abime ! Ce qu'ignorait Jesus, ce que le Keroubime Ne sait pas, ce que Dieu connait, vous le voyez ! Les yeux d'une lumiere invisible noyes, Pensif, vous souhaitez deja la bienvenue Dans notre gouffre d'ombre a l'immense inconnue ! Vous savez le total quand Dieu jette les des ! Quoi ! cet astre est votre astre, et vous lui defendez De s'attarder, d'errer dans quelque route ancienne, Et de perdre son temps, et votre heure est la sienne ! Ah ! vous savez le rhythme enorme de la nuit ! Il faut que ce volcan echevele qui fuit, Que cette hydre, terreur du Cancer et de l'Ourse, Se souvienne de vous au milieu de sa course Et tel jour soit exacte a votre rendez-vous ! Quoi ! pour avoir, ainsi qu'a l'epouse l'epoux, Donne vos nuits a l'apre algebre, quoi ! pour etre Attentif au zenith comme au dogme le pretre, Quoi ! pour avoir pali sur les nombres hagards Qui d'Hermes et d'Euclide ont trouble les regards, Vous voila le seigneur des profondes contrees ! Vous avez dans la cage horrible vos entrees ! Vous pouvez, grace au chiffre escorte de zeros, Prendre aux cheveux l'etoile a travers les barreaux ! Vous connaissez les mœurs des fauves meteores, Vous datez les declins, vous reglez les aurores, Vous montez l'escalier des firmaments vermeils, Vous allez et venez dans la fosse aux soleils ! Quoi ! vous tenez le ciel comme Orphee une lyre ! En vertu des bouquins qu'on peut sur les quais lire Qui sur les parapets s'etalent tout l'ete Feuilletes par le vent sans curiosite, Vous atome, ame aveugle a tatons elargie, De par Bezout, de par l'X et l'Y grec, magie Dont l'informe grimoire emplit votre grenier, Vous nain, vous avez fait l'Infini prisonnier ! Votre altiere hypothese a vos calculs l'attelle ! Vous savez tout ! Le temps que met l'aube immortelle A traverser l'azur d'un bout a l'autre bout, Ce qui, dans les chaos, couve, fermente et bout, Le bouvier, le lion, le chien, les dioscures, La possibilite des rencontres obscures, L'empyree en tous sens par mille feux raye, Les cercles que peut faire un satan ennuye En crachant dans le puits de l'abime, les ondes Du divin tourbillon qui tourmente les mondes Et les secoue ainsi que le vent le sapin, Vous avez tout note sur votre calepin ! Vous etes le devin d'en haut, le cicerone Du pale Aldebaran inquiet sur son trone ! Vous etes le montreur d'Allioth, d'Arcturus, D'Orion, des lointains univers apparus, Et de tous les passants de la foret des astres ! Vous en savez plus long que les grands Zoroastres Et qu'Esdras qui hantait les chenes de Membre ; Vous etes le cornac du prodige effare ; La comete est a vous ; vous etes son pontife ; Et vous avez lie votre fil a la griffe De cet epouvantable oiseau mysterieux, Et vous l'allez tirer a vous du fond des cieux ! Londre, offre ton Bedlam ! Paris, ouvre Bicetre ! Tout cela s'ecroula sur Halley. Votre ancetre, O reveurs ! c'est le noir Promethee, et vos coeurs, Mordus comme le sien par les vautours moqueurs, Saignent, et vous avez au pied la meme chaine ; L'homme a pour les chercheurs un Caucase de haine ; Empedocle est toujours brule par son volcan ; Tous les songeurs, marques au front, mis au carcan, Ralent sur l'eternel pilori des genies Et des fous. Ce Halley, certes, qu'aux gemonies Rome eut traine, qu'Athene au cloaque eut pousse, Etait impie, a moins qu'il ne fut insense ! Jamais homme ici-bas ne s'etait vu proscrire Par un si formidable et sombre eclat de rire ; Tout l'accabla, les gens legers, les serieux, Et les grands gestes noirs des pretres furieux. Quoi ! cet homme saurait ce que la Bible ignore ! La vaste raillerie est un dome sonore Au-dessus d'une tete, et ce sinistre mur Parle et de mille echos emplit un crane obscur. C'est ainsi que le rire, infame et froid visage, Parvient a faire un fou de ce qui fut un sage. Halley morne s'alla cacher on ne sait ou. Avait-il ete sage et fut-il vraiment fou ? On ne sait. Le certain c'est qu'il courba la tete Sous le sarcasme, atroce et joyeuse tempete, Et qu'il baissa les yeux qu'il avait trop leves. Les petits enfants nus courant sur les paves Le suivaient, et la foule en tumulte accourue Riait, quand il passait le soir dans quelque rue, Et l'on disait : C'est lui ! chacun voulant punir L'homme qui voit de loin une etoile venir. C'est lui ! le fou ! Les cris allaient jusqu'aux nuees ; Et le pauvre homme errait triste sous les huees. Il mourut. L'ombre est vaste et l'on n'en parla plus. L'homme que tout le monde insulte est un reclus, On l'evite vivant et mort on le rature. Ce noir vaincu rentra dans la sombre nature ; Il fut ce qui s'en va le soir sous l'horizon ; On le mit dans un coin quelconque d'un gazon A cote d'une eglise obscure, vraie ou fausse ; Et la bleme ironie autour de cette fosse Voleta quelque temps, etant chauve-souris ; Un mort donne fort peu de joie aux beaux esprits ; Un cercueil bafoue ne vaut pas qu'on s'en vante ; Ce qui plait, c'est de voir saigner la chair vivante ; Contre ce qui n'est plus pourquoi s'evertuer, Et, quand un homme est mort, a quoi bon le tuer ? Que sert d'assassiner de l'ombre et de la cendre ? Donc chez les vers de terre on le laissa descendre ; La haine s'eteignit comme toute rumeur ; On finit par laisser tranquille ce dormeur, Et tu t'en emparas, profonde pourriture ; Ce jouet des vivants tomba dans l'ouverture De l'inconnu, silence, ombre ou s'epanouit La grande paix sinistre eparse dans la nuit ; Et l'herbe, ce linceul, l'oubli, ce crepuscule, Eurent vite efface ce tombeau ridicule. L'oubli, c'est la fin morne ; on oublia le nom, L'homme, tout ; ce reveur digne du cabanon, Ces calculs poursuivant dans leur vagabondage Des astres qui n'ont point d'orbite et n'ont point d'age, Ces soleils a travers les chiffres aperçus ; Et la ronce se mit a pousser la-dessus. Un nom, c'est un haillon que les hommes lacerent, Et cela se disperse au vent. Trente ans passerent. On vivait. Que faisait la foule ? Est-ce qu'on sait ? Et depuis bien longtemps personne ne pensait Au pauvre vieux reveur enseveli sous l'herbe. Soudain, un soir, on vit la nuit noire et superbe, A l'heure ou sous le grand suaire tout se tait, Blemir confusement, puis blanchir, et c'etait Dans l'annee annoncee et predite, et la cime Des monts eut un reflet etrange de l'abime Comme lorsqu'un flambeau rode derriere un mur, Et la blancheur devint lumiere, et dans l'azur La clarte devint poupre, et l'on vit poindre, eclore, Et croitre on ne sait quelle inexprimable aurore Qui se mit a monter dans le haut firmament Par degres et sans hate et formidablement ; Les herbes des lieux noirs que les vivants venerent Et sous lesquelles sont les tombeaux, frissonnerent ; Et soudain, comme un spectre entre en une maison, Apparut, par-dessus le farouche horizon, Une flamme emplissant des millions de lieues, Monstrueuse lueur des immensites bleues, Splendide au fond du ciel brusquement eclairci ; Et l'astre effrayant dit aux hommes : " Me voici ! "