LE MONDE 10.06.08
L'actualité se chasse d'elle-même ; épinglée sur la question du Tibet, la Chine est saluée par la presse internationale pour la rapidité, l'efficacité et la transparence de l'intervention des autorités face à la catastrophe provoquée par le tremblement de terre du Sichuan.
Deux heures après le séisme, Wen Jiabao, le premier ministre chinois, a quitté Pékin pour se rendre dans la ville la plus proche du Wenchuan (l'épicentre) et diriger personnellement les opérations qui mobilisent 100 000 hommes sur le terrain.
Quel contraste avec ce qui ne se passe pas en Birmanie, mais aussi avec les lenteurs du gouvernement américain à intervenir en 2005 dans la Louisiane dévastée par le cyclone Katrina !
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Ces événements renforcent le constat qui a été le nôtre, à l'issue d'une mission en avril en compagnie d'une trentaine d'historiens et d'économistes, principalement dans la Chine de l'intérieur.
Nombre des idées négatives qui circulent en France sur la Chine sont tout simplement erronées.
C'est vrai pour les questions du Tibet, des conditions du développement, et même des libertés individuelles.
Nos médias bien-pensants s'inquiètent aujourd'hui de la Chine, qui a réussi à devenir le premier atelier du monde pour beaucoup de produits manufacturés, car le coût humain et environnemental leur en paraît socialement explosif.
Leurs critiques justifiées étaient plus discrètes du temps de la Chine de Mao, qui échouait de manière abominable.
L'envers du décor ne justifie pas d'occulter la réalité d'un développement sans précédent dans l'histoire de l'humanité.
Il est temps de remettre la Chine à l'endroit en relevant aussi les aspects extraordinairement positifs de sa modernisation réussie à marche forcée.
Déjà, New York fait pâle figure comparée à l'incroyable Shanghaï, où les gratte-ciel poussent comme des champignons de toutes les couleurs en se lançant des défis de beauté architecturale.
De la dictature communiste, il reste l'autorité centrale qui impose et organise l'économie socialiste (ou plutôt impériale) de marché.
Elle permet en effet de raser d'un coup des quartiers insalubres, mais pour les remplacer par des immeubles en hauteur de bonne facture avec tout le confort moderne, à commencer par la climatisation.
Même dans la Chine profonde, les magasins regorgent de produits de base et de superflu, et les policiers rencontrés, comme partout ailleurs dans le monde, y sont plutôt rares et généralement équipés seulement d'un téléphone portable.
C'est dire qu'il convient de réviser nombre de nos clichés sur la Chine.
Tout d'abord, ce n'est plus un pays sous-développé.
Les standards internationaux montrent que la Chine avait, en 2006, un PIB par habitant de 7 500 dollars (soit dix fois plus en réel qu'en 1980), c'est-à-dire le niveau de la France à la fin des années 1950 ou du Portugal en 1970.
Notre niveau de vie serait aujourd'hui quatre fois supérieur à celui de la Chine.
Mais, si l'on fait des calculs comme les aimait Jean Fourastié, en ramenant le salaire moyen d'un employé à la valeur locale de certains produits communs à la France et à la Chine, l'écart de niveau de vie se situe plutôt entre deux et trois.
C'est dire que le taux de change d'un à dix entre le yuan et l'euro est largement sous-évalué pour le yuan, mais c'est ce qui a notamment permis à la Chine de dégager d'énormes excédents extérieurs, au point qu'elle détient aujourd'hui le quart des réserves mondiales de change.
Au rythme actuel (7 % à 8 % par an de croissance du PIB par habitant, contre 1 % à 2 % chez nous), les Chinois nous auront rattrapés avant 2030.
Ils nous devancent déjà en ce qui concerne les deux-roues : à Shanghaï et ailleurs, les vélos et les scooters sont silencieux car électriques.
La Chine s'enrichit, et le monde ne peut que s'en réjouir.
Elle investit dans l'éducation de sa jeunesse et dans des infrastructures modernes ; mais cela ne suffira pas car, avec 1,75 enfant par femme, la relève des générations n'est pas assurée, et il lui faut donc avancer à pas de géant avant d'affronter les conséquences de son inéluctable vieillissement.
Ce formidable effort d'investissement dans les infrastructures et les équipements collectifs a été rendu possible grâce à une épargne équivalente à 40 % du PIB et entièrement canalisée par le système bancaire d'Etat.
Une fois passés les Jeux olympiques de cet été et l'Exposition universelle de Shanghaï en 2010, la Chine trouvera un formidable relais de croissance dans la satisfaction d'une demande intérieure jusqu'ici volontairement bridée.
Son développement rapide profite surtout à la Chine du littoral (qui, avec 14 % de l'espace, concentre 43 % de la population, 62 % du PIB, 76 % des investissements étrangers et 93 % des exportations).
Il est vrai que la Chine de l'intérieur est moins bien lotie, et que celle de l'ouest, où ne vivent que 11 % des Chinois, est en retard, avec 7 % du PIB.
Mais, bonne nouvelle, les Chinois pourront se lancer bientôt à la conquête de leur Far West, qui représente 56 % de leur territoire.
Le Tibet fait couler beaucoup d'encre en France.
Là-bas, la perception est tout autre : depuis la dynastie des Yuan au XIIIe siècle, il fait partie intégrante de la Chine.
La région autonome du Tibet compte aujourd'hui 2,8 millions d'habitants, dont 92 % de Tibétains, contre seulement 1,1 million en 1951, grâce à la baisse de la mortalité infantile.
Certes, les progrès de l'alphabétisation entraînent la sinisation des populations.
Mais est-elle différente de celle que les instituteurs de la IIIe République ont imposée sans ménagement aux enfants qui s'avisaient de parler breton dans les cours de récréation ? Il y a sans doute des émeutes et des répressions choquantes pour un Occidental éclairé du XXIe siècle.
Mais la remise au pas sanglante de la Vendée royaliste sous la Révolution devrait nous rendre plus modestes dans la critique d'un empire où les Hans comptent pour 92 % de la population, mais reconnaissent les coutumes et les droits des 55 minorités qui représentent seulement 100 millions d'habitants sur un total de 1,3 milliard.
Bref, nous sommes optimistes sur le genre humain quand nous voyons l'exemple de la Chine, qui réussit à se moderniser en s'appuyant sur son passé, sa culture et des valeurs ancestrales portées sur le travail.
Parions que l'Empire du milieu saura continuer à se libéraliser (les Chinois peuvent voyager à leur guise et se mettre en ménage comme bon leur semble), tout en restant suffisamment autoritaire pour traiter de manière efficace les graves problèmes de pollution, de congestion urbaine, de corruption et de conditions sociales qui, là comme ailleurs, font la "une" des journaux.

J'aime le chocolat, les bananes, le coca.

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