La politique chinoise de l'enfant unique a engendré une génération moins compétitive, moins consciencieuse et plus pessimiste, selon une étude réalisée par des chercheurs spécialisés dans l'économie du développement et publiée, jeudi 10 janvier, dans la revue Science. Le strict contrôle des naissances adopté par la République populaire en 1979, et toujours en place depuis, fait désormais l'objet de vives critiques pour les formes radicales de son application ainsi que sur le déséquilibre créé entre garçon et fille, la tradition confucéenne accordant la proéminence au premier.


Cette étude – basée sur des entretiens avec 421 Chinois originaires de Pékin et nés avant et après la mise en place par Deng Xiaoping de la politique de l'enfant unique – met en avant l'impact négatif du dispositif sur le caractère des individus. Ceux-ci feraient notamment preuve d'une plus forte aversion au risque, estiment les auteurs, issus d'universités australiennes. Ils auraient ainsi peu d'attrait pour les métiers de la finance ou seraient peu enclins à adopter le statut d'indépendant ou d'autoentrepreneur.


"Les personnes nées sous la politique de l'enfant unique recherchent un emploi peu risqué, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'économie et sa croissance", estime Lisa Cameron, l'une des auteurs de l'étude. "Le peu de confiance a aussi un impact sur leurs interactions sociales", ajoute Mme Cameron. La chercheuse relativise toutefois les conséquences de ces traits de caractère sur l'ensemble de la société chinoise. Ils se limitent en effet aux populations urbaines.


LE "PROBLÈME 4-2-1"


Lorsqu'ils résident en ville, les parents ne sont autorisés à donner naissance qu'à un enfant. En zone rurale, un second est autorisé dès lors que le premier né est une fille. Les conditions sont aussi plus souples pour les minorités ethniques.


L'opinion chinoise reconnaît néanmoins à cette politique radicale le mérite d'avoir forcé la transition démographique et évité 400 millions de naissances dans le pays le plus peuplé de la planète. Cette politique suscite toutefois l'inquiétude de ces individus qui, une fois passé l'âge du "petit empereur" au centre de l'attention familiale, songent au poids que leur imposera la solidarité filiale en l'absence d'un système de caisse de retraite efficace : un enfant devra subvenir aux besoins de ses deux parents et de ses quatre grands-parents, un phénomène nommé le "problème 4-2-1".


Surtout, les Chinois, mieux informés depuis Internet, s'insurgent de l'application inhumaine de la politique de l'enfant unique. L'opinion s'était émue au cours de l'été 2012 du sort de Feng Jianmei, une mère originaire de la province du Shaanxi (centre du pays) enceinte d'un second enfant, conduite de force à l'hôpital pour subir un avortement au septième mois de grossesse après avoir refusé de payer l'amende de 40 000 yuans (4 800 euros) imposée par les agents du planning familial. Une photo de la femme épuisée sur son lit d'hôpital avec à ses côtés le fœtus avait fait le tour des microblogs, contraignant l'Etat à indemniser la famille. Le 5 juillet, quinze intellectuels chinois avaient cosigné une lettre appelant leur pays à en finir avec une politique jugée contraire au "droit universel à se reproduire".


Le Prix Nobel d'économie américain Gary Becker estimait au mois d'août qu'abandonner cette politique ne changerait pas radicalement le taux de fécondité chinois, tombé à 1,55 enfant par femme. Ce taux ne bougerait selon lui que de 0,2 ou 0,3%, le développement poussant les familles à ne pas vouloir supporter le poids économique d'une famille plus nombreuse.


Harold Thibault - Shanghaï (Chine), correspondance

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