Penser le numérique pour une société décroissante

Dans un monde où les limites planétaires sont déjà dépassées, où la plupart des points de non-retour ont déjà été franchis, où la 6ème extinction de masse a déjà trop tué de vivant-es, et où les idéologies sécuritaires, militaristes, racistes et expansionnistes réémergent violemment, où pouvons-nous atterrir ? Comment atterrir ?

Dans mes recherches de thèse, je m’intéresse à la question de la désescalade numérique. Il s’agit pour moi de chercher à comprendre en quoi la numérisation des sociétés augmente leur instabilité, quels sont les mécanismes systémiques qui empêchent la désescalade numérique, et quelles méthodes peuvent permettre aux organisations de dépasser ces verrous pour enclencher des politiques de dénumérisation.

Pour cela, je me base sur une analyse transdisciplinaire de la littérature, j’utilise des méthodes de sociologie et de design, et je m’appuie sur des cadres conceptuels tels que la redirection écologique [1], la décroissance [2], ou encore l’innovation par le retrait [3]. J’adopte une posture de recherche-action réflexive, et je suis soutenu par Romain Couillet (LIG) et Maud Rio (G-SCOP) qui co-encadrent mes travaux.

Ce site internet vous propose différents articles, notes et ressources que je produis lors de mes travaux de recherche. L’intégralité du contenu du site est en accès libre sous licence CC BY-SA 4.0.

[1] Voir : E. Bonnet, D. Landivar, et A. Monnin, Héritage et fermeture: une écologie du démantèlement. Paris: éditions divergences, 2021.

[2] Voir : Parrique Timothée, Ralentir ou périr: l’économie de la décroissance. Paris: Éditions du Seuil, 2022.

[3] Voir : F. Goulet et D. Vinck, Faire sans, faire avec moins: les nouveaux horizons de l’innovation. in Sciences sociales. Paris: Mines ParisTech-PSL, 2022.

D’où je parle

Je suis Valentin Girard, j’ai 25 ans, et je suis actuellement doctorant au Laboratoire d’Informatique de Grenoble sur le thème Penser le numérique dans une société de post-croissance. Je viens de Franche-Comté, et j’ai grandi dans une famille de classe moyenne supérieure. Mes parents m’ont toujours transmis leurs valeurs sociales et écologiques, et m’ont beaucoup emmené en montagne et dans la nature. D’autres personnalités ont marqué mon existence, comme mon ancien voisin, un professeur de physique et montagnard aguerri, qui m’a transmis ses passions. J’ai suivi un parcours en classe préparatoire (physiques et sciences de l’ingénieur), puis j’ai intégré l’École Nationale Supérieure de l’Énergie de l’Eau et de l’Environnement (ENSE3). J’ai notamment pu suivre le parcours Pour une Ingénierie Sobre Techno et Eco-responsable (PISTE), lors duquel j’ai approfondi mes connaissances en écologie politique et en critique des techniques. Aujourd’hui, je passe la plupart de mon temps à approfondir mes recherches, à faire du sport de montagne, à militer, à lire, ou à partir en aventures.

Contexte de recherche

Le secteur numérique n’existe aujourd’hui que grâce aux dégâts sociaux et environnementaux qu’il génère. Les nombreuses conséquences dévastatrices de son industrie (néo-esclavagisme minier, accaparement de l’eau, destruction d’habitats naturels, addiction aux écrans, manipulations de masse, etc) nous sont souvent présentées comme des externalités négatives à réduire. Or, les dernières recherches sur l’emprise de la numérisation sur notre société, que nous avons agrégées de manière systémique, nous montrent qu’il s’agit en réalité de conditions d’existence du secteur. En d’autres termes, une industrie du numérique sans détérioration significative des conditions d’habitabilité de la planète n’est pas possible. Ce constat remet ainsi en cause la notion de « durabilité » du secteur. De plus, les bénéfices associés à la numérisation de la société industrielle sont distribués de façon très inégalitaire, avec notamment une forte disparité entre le Nord et le Sud global.

Malgré ces constats, les imaginaires autour de la ‘twin transition’ (transition écologique et numérique) restent porteurs d’un faux espoir : celui d’un découplage entre numérisation et externalités négatives, entre croissance et impacts socio-environnementaux. Ces imaginaires de la transition sont, depuis 2022 notamment, accompagnés d’une vision sécuritaire et militariste des enjeux de la transition. Ces récits et imaginaires permettent aujourd’hui de justifier de nombreux projets industriels ou militaires ayant pour conséquence une expansion de l’emprise numérique, créant ainsi des dépendances systémiques à ces technologies, et faisant augmenter de façon exponentielle les impacts associés à son industrie.

Les recherches que nous menons actuellement portent donc sur les moyens possibles d’enclencher une désescalade numérique, c’est-à-dire un mouvement s’opposant à l’escalade numérique, visant à ralentir, stabiliser, voire diminuer la numérisation de notre société. Cette nouvelle approche s’intéresse non seulement à la réduction de la production matérielle, mais aussi aux processus de détachement collectif vis-à-vis de ces technologies. Ces détachements doivent êtres outillés. En cela, des processus de renoncements aux technologies déjà obsolètes à l’aune de la soutenabilité sont en cours de développement. Ils doivent être réalisés dans un but de cessation de nuire à l’habitabilité de la planète, être menés de manière démocratique, dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être.